Les anciens comme les nouveaux médias sont souvent critiqués pour la manière dont ils donnent à voir la sexualité. Les mouvements conservateurs s’opposent traditionnellement à la diffusion de représentations « déviantes », au nom des « valeurs familiales » et de la « protection de la jeunesse ». Les mouvements féministes et LGBTQI s’attaquent quant à eux à la division sociale du travail au sein des industries médiatiques ainsi qu’aux normes culturelles qui organisent à la fois les régimes de représentation et les systèmes de régulation des contenus. Parmi d’autres exemples, la censure de la nudité féminine sur les réseaux socio-numériques et l’euphémisation du lesbianisme dans le traitement journalistique de la Coupe du Monde Féminine de football ont récemment été au cœur d’importants débats concernant la représentation médiatique des corps et des sexualités des femmes.
Il est désormais assez courant de traiter de ces questions dans les universités anglophones, où les recherches sur les médias et les sexualités sont passées par un processus d’institutionnalisation. Si ce domaine de recherche se développe actuellement en France, la sexualité reste considérée comme un objet « sale » en sciences de l’information et de la communication, qui entache la légitimité scientifique des chercheur·es qui l’étudient. Cette conférence vise donc à jeter des ponts entre ces différents contextes nationaux et disciplinaires, en réunissant des chercheur·es anglophones et francophones qui travaillent à la croisée des recherches sur les médias et sur les sexualités.
Nous appelons à des communications examinant tout type de processus de médiatisation de la sexualité, avec un intérêt particulier pour les genres et les secteurs médiatiques qui n’apparaissent pas comme « sexuels » à première vue. Le point de départ queer de ce colloque est en effet que tous les médias et toutes les technologies, y compris celles qui se présentent comme « non sexuelles », participent en fait activement de politiques sexuelles, par exemple à travers la mise en avant de la décence. Cela implique aussi que toutes les sexualités, y compris celles qui se présentent comme naturelles et intemporelles – à commencer par l’hétérosexualité – sont en fait le produit de processus socioculturels, dans lesquels les médias et les technologies jouent un rôle clé.
Production. Une première série de communications interrogera la place de la sexualité dans les industries médiatiques du passé et du présent, en mettant l’accent sur l’organisation du travail, sur les représentations médiatiques et/ou sur les infrastructures sociotechniques.
Journalisme. La sexualité, sous l’angle du plaisir ou de la violence, est un thème fréquent dans le discours journalistique ; et ce discours joue un rôle clé dans la distinction entre les « bons » et les « mauvais » usages de la sexualité. La sexualité intervient également dans le traitement journalistique de questions apparemment non sexuelles tels que les performances des athlètes ou les discours et actions des personnalités politiques. Comment la sexualité émerge-t-elle dans le discours journalistique ? Quelle est la place des journalistes femmes, féministes et LGBTQI dans la production des médias d’information ? À travers quels types de trajectoires les journalistes se spécialisent-elles/ils dans des sujets liés à la sexualité ?
Divertissement. Comment les controverses dans les espaces publics relatives à la censure de la sexualité ou au contraire à l’« hypersexualité » des cultures médiatiques travaillent-elles de l’intérieur les industries du numérique, de la musique, de la télévision, du cinéma et de la publicité ? Comment les industries culturelles en viennent-elles à envisager les contenus médiatiques à caractère sexuel comme une opportunité ou comme un risque économique ? Comment les personnes qui travaillent au sein des industries du divertissement sexuel sont-elle moralement (dis)qualifiées ?
Réseaux socio-numériques. Quelles sont les normes sexuelles qui organisent les plateformes de sociabilité centrées sur l’amitié, les loisirs, l’amour ou la sexualité ? Ces normes s’appliquent-elles de la même manière à tou·te·s les usagèr·es ou est-ce que leur application opère selon un double standard de sexe, de race et de classe ? Quelle importance matérielle prennent ici les infrastructures (algorithmes, bases de données, etc.) ? Et quels rôles jouent les usagèr·es dans la consolidation ou la contestation de ces normes ?
Régulation. Une deuxième série de communications interrogera la régulation des médias et des technologies, en décrivant le fonctionnement interne des dispositifs de censure et de modération et/ou en analysant les discours sur les publics « vulnérables » et « dangereux ».
Régulation étatique. Par quels processus historiques les dispositifs étatiques de régulation des médias et des technologies ont-ils émergé ? Comment les mouvements anti-pornographie et anti-prostitution ont-ils contribué à leur formation (par exemple, à travers les récentes lois FOSTA-SESTA aux États-Unis) ? Comment les jeunes, les femmes, la classe ouvrière et les personnes non-blanches ont-elles été présentées comme des publics inappropriés pour les images sexuelles ? Quelles sont les valeurs (par exemple la « dignité humaine ») et les données scientifiques (issues de la psychologie, de la criminologie, etc.) qui sont invoquées dans les comités d’experts ? Et quels sont les effets de ces dispositifs de régulation sur les espaces publics et les expériences ordinaires ?
Régulation privée. Les entreprises de médias et de technologies élaborent leurs propres dispositifs afin d’empêcher la circulation de contenus « inappropriés ». Comment la sexualité est-elle régulée par ces acteurs privés (notamment les plateformes numériques) et comment ces différents niveaux de régulation interagissent-ils les uns avec les autres ? Quelles activités sont nécessaires à l’identification et à la suppression des textes, images et vidéos qui transgressent ces règles ? Comment les mouvements conservateurs se mobilisent-ils pour limiter l’expression sexuelle en ligne ? Et comment les groupes marginalisés (par exemple les travailleurs·euses du sexe) s’organisent-ils contre de telles restrictions de leur expression publique ?
Comment soumettre une proposition de communication ? Nous invitons des propositions de communication en anglais ou en français, de toute discipline des sciences humaines et sociales, qui appréhendent de manière critique les médias et les sexualités. Les propositions doivent exposer clairement leur démarche théorique et méthodologique, dans la limite de 3000 signes. Elles sont à envoyer à mediasexlille2020@gmail.com avant le 27 janvier 2020. Elles feront l’objet d’une évaluation en double aveugle par le comité scientifique.